Quelle aide forfaitaire pour les petites fermes françaises ?

Article Focus de Pauline Lécole, Raphaële Préget et Sophie Thoyer à propos de l’article « Designing an effective small farmers scheme in France », publié dans Ecological Economics.

Focus sur : Lécole, P., Préget, R., & Thoyer, S. (2022). Designing an effective small farmers scheme in France. Ecological Economics, 191, 107229. doi: http://dx.doi.org/10.1016/j.ecolecon.2021.107229

Malgré des pratiques souvent plus vertueuses que celles des grandes exploitations agricoles pour l’environnement, et parfois aussi plus favorables à l’emploi en milieu rural, 40 % des plus petites exploitations françaises reçoivent moins de 5 % des aides directes du premier pilier de la PAC et nombreuses sont celles qui renoncent à demander les aides du fait de la complexité des procédures.

En 2014, la PAC a introduit la possibilité pour les Etats membres d’offrir un régime simplifié pour les petits agriculteurs : un montant d’aide forfaitaire maximum de 1250 € par exploitation et par an sans conditions et sans contrôles associés, peut être alors versé si, en contrepartie, l’exploitant renonce aux aides directes du premier pilier.  Ce régime particulier n’a toutefois pas été ouvert en France.

L’objectif de ce travail est d’évaluer un régime d’aide forfaitaire plus sophistiqué, incluant des conditions environnementales et d’emploi, en estimant la propension des petits agriculteurs français à rejoindre un régime d’aide simplifié et en mesurant en termes monétaires leur préférence ou leur aversion relative pour ces conditions.

Les programmes hypothétiques

Une enquête a alors été conduite dans le but de tester l’intérêt des petits exploitants pour ce dispositif. Dans cette enquête, des programmes hypothétiques ont été établis, caractérisés par différents niveaux d’aide forfaitaire (payée annuellement à l’exploitation engagée, indépendamment de sa taille, de sa production ou de sa localisation), et par différents types de conditions sur l’environnement et l’emploi à remplir pour bénéficier du programme.

Le programme 0 correspond au régime actuel des petits agriculteurs (non mis en œuvre en France) avec un montant forfaitaire de 1250€/exploitation et aucune condition.

Le programme 1 inclut uniquement la condition sur l’environnement :  seuls les agriculteurs faisant un effort certifié vers des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement sont éligibles au programme.

Le programme 2 combine la condition sur l’environnement avec une condition sur l’emploi stipulant que seuls les agriculteurs qui créent ou maintiennent des emplois rémunérés pour un équivalent d’au moins 2 mois (même à temps partiel et en contrat court) sur leur exploitation sont éligibles au programme. L’objectif est d’encourager les agriculteurs qui ont besoin de main-d’œuvre saisonnière à recruter plutôt que de se surmener ou de faire travailler des membres de leur famille sans les déclarer.

Le programme 3 combine la condition sur l’environnement avec une exigence plus forte sur l’emploi puisque, pour être éligibles, il faut avoir un emploi salarié permanent sur l’exploitation pour au moins l’équivalent d’un tiers temps. C’est une façon d’encourager l’embauche permanente, y compris de la main-d’œuvre familiale.

Simulations sur la population française des agriculteurs non retraités

A partir de cette enquête (dite enquête de choix discrets), nous avons simulé les résultats pour la France entière, en mobilisant les données du recensement agricole de 2020.

Simulations pour le Programme 0 :  près de 42 700 agriculteurs (12 % des agriculteurs français non retraités en 2020) choisiraient ce programme, c’est-à-dire le régime des petits agriculteurs, que la France a choisi de ne pas activer. Sans surprise, 95 % d’entre eux sont des agriculteurs qui reçoivent 1250 € ou moins d’aides directes du premier pilier, voire n’en reçoivent pas du tout. Les 5 % restants reçoivent en moyenne 3 500 € auxquels ils sont prêts à renoncer pour un paiement de 1250 €, afin d’être libérés des contraintes administratives et des contrôles. Le coût additionnel de ce régime, s’il était adopté en 2023, est estimé à l’échelle de la France à 128,6 millions €, soit une augmentation de 1,86 % du budget total des aides directes du premier pilier (estimé à 6909 millions en 2020).

Simulations pour le Programme 1 assorti d’un paiement forfaitaire de 3000 € :  près de 33 % des agriculteurs français non retraités adhéreraient au programme 1. Cela s’explique par la forte préférence des petits agriculteurs pour un programme incluant une condition environnementale.

Simulations pour les Programme 2 et 3 assortis d’un paiement forfaitaire de 3000 € : Comme ils comportent une condition d’emploi, les taux d’adhésion estimés des programmes 2 et 3 sont inférieurs à ceux du programme 1 (21 % pour le programme 2 et 18 % pour le programme 3) mais sont néanmoins élevés.

Les coûts additionnels des programmes simulés sont très faibles relativement au coût total du statu quo (moins de 2 %) et pourraient être facilement absorbés par une baisse des montants d’aides directes des plus gros bénéficiaires.

Ajoutons que selon nos simulations, au sein des 33 % d’agriculteurs qui adhéreraient au programme 1, 75 % ne respectent pas déjà la condition sur l’environnement. Ces 75 % sont les agriculteurs qui créeraient un avantage environnemental supplémentaire en adhérant au programme 1 par rapport à la situation actuelle. L’impact net du programme 1, au-delà du soutien financier apporté aux plus petits agriculteurs, réside dans cette proportion élevée de nouvelles certifications qui pourrait être obtenue. C’est ce que montre la Figure 2, pour les programmes 1, 2 et 3, en distinguant les agriculteurs respectant déjà les conditions de ceux qui ne les respectent pas encore et seraient donc amenés à contribuer davantage (sur le plan environnemental ou de l’emploi en fonction des conditions).

Figure 2 : Effets incitatifs des programmes avec une ou plusieurs conditions

Conclusions

Ce travail est la première contribution évaluant les préférences des petits agriculteurs pour un paiement forfaitaire en remplacement du régime habituel de soutien au revenu par hectare de la PAC. Il montre tout d’abord que l’ouverture en France du régime simplifié pour les petits agriculteurs aurait pu intéresser près de 43 000 d’entre eux, pour un coût additionnel très supportable. Il ouvre aussi des perspectives sur ce qui pourrait être proposé par la France dans le cadre de l’application de la PAC post-2027. Cette étude indique aussi qu’ouvrir un régime forfaitaire pour les petits agriculteurs, assorti d’une condition de certification environnementale, et d’un paiement d’au moins 3000 €, pourrait servir de levier pour accélérer la transition des petites exploitations vers des pratiques plus durables. Un tel outil serait complémentaire de l’éco-régime option « certification environnementale » dans lequel il est peu probable que les exploitations ayant de très petites surfaces s’engagent. Il pourrait également contribuer à changer la norme sociale, en signalant que l’engagement dans une transition agroécologique certifiée est récompensé par la société, et ceci même pour les petites structures agricoles. Le paiement forfaitaire pour les petits maraichers, prévu par le Plan stratégique national, est une première étape.

 

Sur le même sujet...

Une interview de Sophie Thoyer du CEE-M, sur son article publié dans Ecological Economics, consacré à une enquête conduite par les auteurs auprès des agriculteurs, sur la mise en place d’un nouveau type d’aide en France pour les petits exploitants agricoles.

Publications du CEE-M
sur ce sujet

Lecole Pauline, 2021, Les petites exploitations agricoles françaises : types, contributions et soutiens, Notes et Etudes Economiques
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Lécole Pauline, 2021, Can Small French Farms Provide an Opportunity for Employment in the Agricultural Sector?, EuroChoices
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Lécole PaulineThoyer Sophie, 2022, Performances économiques et environnementales des petites exploitations agricoles françaises, Revue d'économie régionale et urbaine
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Lécole Pauline, 2021, Petites fermes des villes, petites fermes des montagnes et soutiens de la Politique agricole commune, Géographie, Économie, Société
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